14 mai 2011

OVNI : ROSWELL - LE FAUX DEBRIS DE 1996 - PAR GILDAS BOURDAIS


Juillet 2010 : Denis Denocla mesure la radioactivité d’un débris au musée de Roswell
Le 20 octobre 2010, Denis Roger Denocla publiait, sur la grande liste nord-américaine « UFO Updates », un message dans lequel il annonçait avoir mesuré la radioactivité d’un débris de l’ovni qui s’était écrasé près de la ville en 1947, débris qui était selon lui exposé au musée. Je le cite, traduit en français : « En juillet 2010, j’ai été invité par Julie Shuster, la directrice du Musée et Centre de recherche sur les ovnis de Roswell. J’y ai fait un exposé sur mes études actuelles. J’ai vu que le Musée de Roswell a un débris de la machine qui s’était écrasée dans le désert près de Roswell en 1947. En vérifiant les analyses qui avaient été faites sur ce débris (souligné en gras par moi), j’ai remarqué que, apparemment, il n’y avait pas eu d’analyse de radioactivité de faite sur lui. J’avais mon compteur Geiger avec moi, et j’ai décidé de faire une mesure ». Denis Denocla observe une légère différence de radioactivité par rapport au milieu ambiant - 18,05 particules /minute, à 10 cm du débris, contre 16, 66 au milieu du musée – et demande si quelqu’un pourrait faire une autre mesure. Il annonce également ces résultats sur son site internet :
Il y dit la même chose, notamment que « Le musée Roswell détient un débris d’un engin qui s’est crashé dans le désert aux alentours de Roswell en 1947. »

Sur la liste UFO Updates, à laquelle participent des spécialistes reconnus de Roswell, tels que Kevin Randle, Stanton Friedman et David Rudiak, un participant à la liste a fait simplement remarquer qu’un faible écart de ce genre est banal. Deux autres participants - dont moi - se sont étonnés : se pouvait-il qu’un vrai débris de l’ovni, « quête du Graal » de tous les enquêteurs depuis trente ans, soit ainsi exposé au musée ? Une telle nouvelle serait une bombe, et pas seulement dans le petit monde de l’ufologie ! Denis Denocla ne nous a pas répondu.
J’étais intrigué, et j’ai posé la question de la radioactivité au Dr Jesse Marcel Jr, que je connais depuis 1997. Il m’a répondu aussitôt que son père, le commandant Marcel, avait bien fait des relevés de radioactivité lorsqu’il avait inspecté le fameux champ de débris du ranch Foster, et qu’il n’y avait rien d’anormal. Cela est précisé, d’ailleurs, dans plusieurs livres, notamment UFO Crash at Roswell, le premier livre de Kevin Randle et Donald Schmitt, publié en 1991 (p 49 de l’édition de poche). Les officiers chargés des bombardiers atomiques savaient mesurer la radioactivité. Marcel, notamment, qui avait dirigé la sécurité des essais atomiques de Bikini l’année précédente, avec les félicitations de toute la hiérarchie ! (voir mon livre Le crash de Roswell) Ainsi, cette « révélation » de Denis Denocla sur la radioactivité d’un débris de Roswell était déjà, pour le moins, très surprenante.

Qu’était donc ce débris ? David Rudiak m’a suggéré une explication, en privé : c’était peut-être le canular d’un curieux débris apporté au musée en mars 1996, qui avait fait du bruit à l’époque mais avait été vite identifié comme un simple déchet d’un atelier de joaillerie, puis qui était resté exposé dans un coin du musée. Je me suis alors souvenu que je l’avais vu, effectivement, dans une vitrine, en juillet 2007. Voici une photo du débris en question, de petite taille (79 x 43 mm selon Michael Hesemann) qui a été publiée à l’époque.

Le débris de joaillerie exposé au Musée de Roswell en 1996.


J’ai rapidement signalé cette piste à Denis Denocla, en lui donnant des références de livres et articles qui ont rapporté cette petite histoire : Beyond Roswell, de Michael Hesemann et Philip Mantle (1997, pages 249 à 251), The Roswell Encyclopedia de Kevin Randle (2000, pages 153 à155), et mes deux derniers livres sur Roswell (2004, pages 433 et 435, 2009, pages 353 et 354). Je lui ai demandé si le fragment montré sur cette photo, d’un aspect très particulier, était bien celui qu’il avait vu au musée, mais il a esquivé ma question à plusieurs reprises. Il a dit avoir « vérifié les analyses qui en avaient été faites », mais la vraie nature du débris semble lui avoir échappé.

J’ai alors pris contact avec la directrice du musée de Roswell, Julie Shuster (qui a pris la succession de son père Walter Haut, décédé), pour avoir son opinion. Dans un message qu’elle m’a adressé 23 novembre, elle m’a confirmé qu’il s’agissait d’un débris de joaillerie, mais elle a ajouté qu’il y aurait d’autres tests à faire : « Quant au test du fragment de joaillerie, je dois clarifier qu’il y a eu seulement un test d’effectué. J’ai appris récemment que 2 ou 3 tests sont nécessaires pour en être certain. Les tests additionnels n’ont pas été faits. » (“As for the actual testing of the jewelry I need to clarify that there was only one test done on it. I have recently learned that 2-3 tests are needed to be certain. The additional tests have not been done.”)

Or, je l’ai vérifié peu après, des tests complémentaires ont bien été faits, et le canular a été complètement démasqué, dès septembre 1996, par le directeur des recherches du musée, Miller Johnson, qui a raconté l’histoire dans un article du Mufon UFO Journal (c’est la revue mensuelle du Mufon - Mutual UFO Network - le plus important groupe ufologique américain).

L’enquête de Miller Johnson, directeur des recherches du Musée de Roswell.

J’ai retrouvé cet article, de plus de quatre pages, paru dans le Mufon UFO Journal de novembre 1996 (dont j’ai la collection complète depuis fin 1990), intitulé « Le débris de Roswell, un déchet de joaillier » (« Roswell débris jeweler’s cast-off »). Miller Johnson y raconte comment des études, faites à la demande du musée dans deux laboratoires réputés, ont révélé que ce matériau n’avait rien d’extraterrestre. Il a été confirmé d’autre part, de plusieurs sources, que c’était un simple débris provenant d’un atelier de joaillerie.

Citons le premier paragraphe de l’article :
« Comme le savent sans nul doute la plupart des lecteurs, un fragment métallique, censé avoir été récupéré sur le site des débris du crash de Roswell, a attiré l’attention du monde entier en mars dernier. Une analyse pour déterminer les éléments qui le composent a été organisée au Bureau des Mines et ressources minérales du Nouveau-Mexique (à Socorro), par Max Littell, du Musée international et centre de recherche. L’analyse par fluorescence aux rayons X (« X ray fluorescence analysis ») a déterminé que le fragment de 1,616 grammes était une combinaison de Cu (cuivre) et de Ag (argent) avec des traces de sodium, d’aluminium, de silicium, de fer, de chrome, de soufre et de chlore. Le Musée ovni de Roswell a alors reçu un second fragment, fourni par la même source. »

Après discussion avec l’auteur du test, Chris McKee, et avec le professeur C. B. Moore (alors en retraite à Socorro) qui y avait assisté, Johnson a recommandé à la direction du Musée une analyse isotopique.

Je saisis ici l’occasion pour corriger une critique injuste de ma part dans mon livre concernant le professeur Charles Moore. J’ai écrit qu’il avait cru identifier une partie d’un train de ballons Mogul, dont il était l’un des partisans, avec son livre à paraître l’année suivante. Or, selon Antonio Huneeus, dans Fate Magazine de juillet 1996, Moore avait dit clairement que ce fragment était « sans rapport avec les cibles radar ni aucun autre équipement utilisé par le NYU Group » (l’équipe de la New York University, dont il faisait partie, chargée de lancer les trains de ballons en 1947 à White Sands). Moore avait seulement indiqué que ce fragment aurait peut-être pu être un composant d’un microphone de bouée acoustique (l’un des instruments de Mogul), mais il ne voyait pas comment un soldat aurait pu le récupérer. L’article de Huneuus, « New Metallic Artifact », a été repris dans le livre The Best of Roswell (Galde Press, 2007, pages 142 et 143). Mais voyons le point important, décisif même, de cette histoire, l’étude des ratios isotopiques.

Lorsque les ratios isotopiques d’un élément sont calculés, on peut les comparer aux ratios courants sur Terre. S’ils s’en écartent de plus de 0,5 à 1 %, on peut les considérer comme une indication positive de possible origine extraterrestre. Celle-ci nécessitait un équipement sophistiqué appelé « spectromètre de masse par ionisation thermique » (« Thermal Ionization Mass Spectrometer », ou TIMS). Miller Johnson a repéré un tel équipement au Laboratoire National de Los Alamos (LANL), au nord du Nouveau-Mexique, et a obtenu qu’une telle analyse y soit réalisée. Faut-il le rappeler, Le laboratoire de Los Alamos est l’un des hauts lieux de la recherche scientifique, notamment militaire, aux Etats-Unis. C’est là que fut conçue la première bombe atomique.

Vue d’ensemble du Laboratoire National de Los Alamos


Après accord signé le 14 juin, l’étude a été réalisée par Larry Callis, chef de l’équipe de spectrométrie de masse, le 1er et le 2 août 1996, avec l’aide de son équipe, sur deux fragments, en présence de Miller Johnson.

Crail Hammond (à droite) et Miller Johnson devant le spectromètre de masse de Los Alamos (photo Larry Callis)


Miller Johnson a reçu les résultats par Fax le 15 août. Celui-ci soulignait que les tests avaient été réalisés avec un appareil (Modèle VG-354, fabriqué par FisonsVg en Grande-Bretagne) utilisé normalement pour des analyses de haute précision de matériaux nucléaires. Citons tout de suite la conclusion de l’étude :
« Ainsi, il apparaît que les ratios isotopiques mesurés sur les deux fragments ne sont pas inhabituels – c'est-à-dire qu’ils sont typiques de valeurs terrestres ».

Résumons les résultats, détaillés par Miller Johnson dans son article. Dans du cuivre ordinaire, on trouve environ 70 % de l’isotope 63 et 30 % d’isotope 65. Plus précisément, le rapport des deux est le « ratio isotopique », 63Cu/65Cu, dont la « valeur acceptée » est de 2,244.
De même, pour l’argent, qui combine normalement les deux isotopes 107 et 109, la valeur acceptée du ratio isotopique 107Ag/109Ag est de 1,0764.
Les valeurs trouvées pour les fragments étaient :
Pour le cuivre : 2,2391 + ou – 0,0022 à 0,0024
Pour l’argent (un seul fragment a pu être étudié par manque de temps) : 1,0764 +ou – 0,0010

La valeur trouvée pour l’argent était parfaitement normale, mais il y avait pour le cuivre une petite variation par rapport à la valeur acceptée, de 0,2 %.
L’étude de Los Alamos commentait ainsi ces résultats :
« Les valeurs publiées indiquent qu’un écart de quelques dixièmes de pour cent sont possibles. Ainsi, pour que les fragments puissent être décrits comme inhabituels, les ratios isotopiques mesurés devraient être bien en dehors des valeurs terrestres possibles, soit différentes d’au moins 0,5 à 1 %. Ce n’est certainement pas le cas du cuivre et de l’argent contenus dans ces fragments ».

Le fragment identifié comme un débris de joaillerie

Ainsi, résume Miller Johnson dans son article, l’analyse isotopique a fourni des valeurs « typiques de valeurs terrestres ». Cependant, il restait un aspect curieux à examiner. Des microphotographies optiques réalisées également à Los Alamos avaient fait apparaître que ces fragments comportaient huit couches très fines, alternées, de cuivre et d’argent, ce qui était inhabituel. Mais cette question a été elle aussi résolue.

Les couches alternées de cuivre et d’argent, révélées par microphoto à Los Alamos


Le 5 septembre 1996, Miller Johnson a eu plusieurs entretiens téléphoniques avec le journaliste John Fleck , de l’Albuquerque Journal, au sujet de ce mystérieux fragment. Fleck lui a dit qu’il était sur une piste, qui a été révélée dès le lendemain en première page du journal. Voici exactement ce qu’en dit Johnson dans son article du Mufon UFO Journal :
« Fleck avait interviewé par téléphone un certain Randy Fullbright, joaillier à Saint George, dans l’Utah. Fullbight lui avait dit que le fragment original était un déchet (« a piece of scrap ») provenant de son studio. Le 7 septembre, j’ai visité la bijouterie James Kallas à Santa Fé pour y photographier des échantillons de bijoux de Fullbright qui y étaient exposés. Pour moi, le mystère des fragments était maintenant résolu à 99%. »
Johnson raconte qu’il a eu trois longues conversations téléphoniques avec M. Fullbright, qui lui a décrit les caractéristiques du débris. Il s’agit d’une ancienne technique japonaise appelé Mokun Gane, et Fullbright lui a posté des échantillons de déchets pour comparaison. Johnson avait maintenant la preuve convaincante, résolvant le puzzle du fragment. Et il écrit : « Le 19 septembre, une réunion matinale avec les officiels du musée a refermé le dossier (« closed the case »). Il a été constaté que le fragment numéro 2 du musée et l’échantillon fourni par le studio de Fullbright coïncidaient (« positive match »).

Miller Johnson conclut ainsi son article : « L’enquête scientifique employée dans cette affaire très commentée, nationalement et internationalement, a renforcé la crédibilité du Musée international et centre de recherche sur les ovnis de Roswell. »
Ce qu’il ne dit pas, c’est que, au cours des mois précédents, le musée avait fait une exploitation commerciale pour le moins imprudente de ce débris, notamment à l’occasion du festival annuel du mois de juillet, qui commençait à prendre de l’ampleur cette année-là, sous l’impulsion de l’avocat Max Littel, administrateur du musée. Ainsi, l’enquête de Johnson venait à point nommé pour redresser la situation… Les livres déjà cités plus haut, et d’autres sources, ont livré quelques détails qui méritent d’être rappelés.

Quelques détails sur le déroulement de l’affaire

Le visiteur du musée qui avait apporté le premier fragment au musée de Roswell, le 24 mars 1996, avait demandé à garder l’anonymat. Il avait raconté à Max Littel que l’objet avait été trouvé par l’un des soldats chargés de nettoyer le site du crash en juillet 1947. Comme le fragment était petit, il avait pu le cacher dans sa poche sans se faire remarquer. Trois jours plus tard, le Roswell Daily Record racontait l’événement en première page, et Little passait à la télévision à Albuquerque.
Le fragment fut acheminé dans les plus brefs délais pour analyse au laboratoire du Bureau des Mines, à Socorro, par Max Littel et le chef de la police de Roswell, Ray Mounts. Incidemment, ceci indique l’intérêt de la ville pour ce débris, qui était peut-être une précieuse découverte. De leur côté, les spécialistes de Roswell tels que Stanton Friedman et Kevin Randle déploraient l’anonymat du témoin, interdisant tout recoupement. Au cours des mois suivants, le musée se livra à une certaine exploitation commerciale du fragment, notamment au festival de juillet, faisant payer les visiteurs pour voir le fragment et vendant des photos de celui-ci ! Selon Littel lui-même, le musée avait encaissé plus de 1 500 Dollars avec la vente des photos (Beyond Roswell, p. 251).

Cette situation n’a pas duré très longtemps. L’article de l’Albuquerque Journal du 6 septembre, déjà cité, révélait non seulement la piste du joaillier Randy Fullbright, mais donnait aussi le nom de la personne qui avait fourni le débris au musée, Blake Larsen, qui avait emporté le débris juste avant d’aller habiter à Roswell. Toujours selon cet article, Fullbright avait averti le musée de l’origine de la pièce métallique lorsqu’il avait vu sa photo dans les journaux, mais on ne l’avait pas écouté !

Une question vient évidement à l’esprit, celle du rôle joué par ce Blake Larsen. Etait-il un mauvais plaisant agissant seul, ou était-il en service commandé ? On ne le sait pas, semble-t-il, encore aujourd’hui.
On peut quand même remarquer que cette petite provocation s’intégrait assez bien dans le débat sur Roswell qui a fait couler beaucoup d’encre à l’époque. En particulier en 1995, avec le trop fameux film de l’autopsie et le gros rapport de mille pages du Pentagone sur les ballons Mogul (The Roswell Report) ; deux ans plus tard avec un nouveau rapport du Pentagone, The Roswell Report. Case Closed, qui a voulu expliquer les témoignages sur les cadavres comme des confusions avec des mannequins en bois pour essais de parachutes. Comme je le raconte en détail dans mon livre sur Roswell, le premier rapport avait été bien accepté dans la presse, mais le second avait plutôt suscité le doute et la perplexité. Cependant, le film de l’autopsie avait fait tellement de ravages en 1995 que le dossier de Roswell a bel et bien été enterré pendant quelques années, malgré les enquêtes déjà approfondies des années précédentes. Ce n’est qu’en 2007 que celles-ci ont été vraiment relancées avec le livre Witness to Roswell, de Tom Carey et Donald Schmitt, qui a révélé des témoignages nouveaux et importants.

Malheureusement, il faut se méfier de certains témoignages douteux, tel celui de ce soldat, apparu récemment, qui dit avoir vu en 1950 un survivant de Roswell, détenu dans un camp militaire en Virginie, dans une petite casemate (cité notamment dans la revue Nexus). Une histoire très suspecte, pour le moins, qui sent fortement la désinformation « amplifiante », selon le principe : lancer une histoire à première vue excitante, mais qui ne va pas faire long feu !
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Copyright G.Bourdais - 30 décembre 2010


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